Suite au scandale Volkswagen survenu en septembre 2015 aux Etats-Unis et aux suspicions de fraude sur les données d'homologation en Europe de la part du même constructeur, le Ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer français, dirigé par Ségolène Royal, a chargé une commission indépendante d'évaluer l'état du parc automobile français en matière de triche à l’homologation. Quelles en sont les conclusions?
La campagne de mesures a consisté à mettre en évidence l'éventuelle présence de logiciels capables de détecter lorsqu'un véhicule passe un test d'homologation (ceci afin de réduire artificiellement les émissions de polluants lors de ces tests). Pour ce faire, les tests ont été menés à la fois sur des bancs à rouleaux (selon le même principe que celui utilisé lors de l'homologation des véhicules) et sur circuit.
Les tests ont été effectués par l'UTAC sur ses installations de Linas-Montlhéry (91). L'UTAC est une société privée qui s'occupe, entre autres, de l'homologation des véhicules en France.
Le premier test (dénommé D1) consiste à réaliser le même cycle NEDC que celui réalisé pour l'homologation du véhicule. Toutefois, la batterie n'est pas nécessairement rechargée complètement. Afin de tromper un éventuel logiciel tricheur, le capot moteur est fermé, les tests sont effectués sur un banc 4x4 (les 4 roues tournent donc à la même vitesse) et la marche arrière est passée à une reprise en cours de cycle.
Le deuxième test (D2) est réalisé à la suite du premier test. La première partie du premier test est distincte du cycle d'homologation. La partie extra-urbaine du test est strictement identique. Dans ces conditions, il est alors attendu que cette partie extra-urbaine montre des résultats similaires à ceux de la partie extra-urbaine réalisée lors du premier test.
Enfin, un troisième test (D3) reproduit le cycle d'homologation sur circuit. Le véhicule est donc équipé d'un dispositif de mesure des gaz d'échappement, un dispositif similaire à celui qui sera utilisé pour effectuer les mesures d’émissions sur routes ouvertes (RDE – Real Driving Emissions).
Au total, 86 véhicules ont été évalués (85 véhicules diesel, 1 véhicule à moteur essence). Les véhicules n'ont pas été fourni par les constructeurs : ce sont des véhicules de location pour la plupart, afin de dissiper tout doute quant à la présence d’un véhicule spécialement préparé pour ces tests.
Sur le premier test (D1), la commission estime que l’écart peut être considéré comme acceptable s’il est inférieur à 12% par rapport à la valeur mesurée de CO2 rejeté lors de l’homologation.
Cette marge de 12% a été établie en considérant le fait qu’une tolérance de 8% est accordée au titre de la dispersion de véhicule à véhicule en production. 3% de marge d’erreur viennent s’ajouter afin de compenser les éventuelles différences de mesures d’un laboratoire à un autre. Enfin, le dernier pourcent permet de prendre en compte les conditions différentes de l’homologation. Malgré cette marge, il est à noter que 46% des véhicules testés ne satisfont pas aux émissions de CO2 mesurées lors de leur homologation.
Le deuxième test n’a pas permis de tirer de conclusions supplémentaires. De fait, sur la première vague de véhicules testés, la commission avait cru pouvoir déceler la présence d'un logiciel tricheur sur un véhicule Volkswagen en constatant une grande différence entre les résultats relevés sur la partie extra-urbaine du test D1 et ceux relevés lors du test D2. Néanmoins, sur l'ensemble des mesures, 28% des véhicules testés présentent la même anomalie.
Pour le test D3, effectué sur circuit, la limite a été fixée à 5 fois la limite réglementaire de la norme Euro applicable en matière d’émissions de NOx (soit 900 mg/km pour un véhicule Euro 5 et 400 mg/km pour un véhicule homologué Euro 6). Ce critère a été arbitrairement fixé par la commission en s’appuyant sur les études de l’ICCT (organisation non gouvernementale) qui a constaté un coefficient moyen entre un essai en laboratoire et un essai sur route de 7,1 pour un véhicule Euro 6. Considérant ce critère, le pourcentage de véhicules en dépassement s’élève à 58%.
Concernant les tests routiers, la différence peut largement s'expliquer par le masse supplémentaire induit par le dispositif de mesure (plus de 100 kg) ainsi qu'une température ambiante généralement plus faible que celle relevée lors des tests effectués en laboratoire. D'autre part, le poids s'exerçant sur l'arrière du véhicule en porte-à-faux, l'aérodynamique du véhicule s'en trouve perturbée, tout comme le travail des pneus arrière particulièrement.
D'autre part, le rapport met en évidence des différences importantes (en particulier pour les rejets d'oxyde d'azote) pour un même moteur, ce qui rend d'autant plus complexe l'interprétation des résultats. Parmi la flotte de véhicules testés, la commission a testé 3 Renault Captur équipés du 1.5l dCi de 110 chevaux ainsi que deux Opel Zafira pourvus du 1.6l CDTI de 140 ch et 2 Volkswagen Sharan motorisés par le 2.0l TDI de 140 ch.
Concernant le Sharan, on peut noter une grande différence entre les deux véhicules mesurés en matière de NOx, tant lors de la mesure sur banc à rouleaux (20%) que lors de la mesure sur circuit (320%). La température plus faible (entre 6 °C et 8 °C), lors du test présentant les émissions les plus élevées, pourrait expliquer cette différence (avec l'EGR qui serait, tout ou partie, désactivé en-dessous de 7°C par exemple).
En ce qui concerne le Zafira et le Captur, il n’y a, en revanche, pas de facteur particulier permettant d’expliquer clairement la disparité dans les résultats d’émissions d’oxyde d’azote.
Au chapitre des émissions de CO2, les données restent cohérentes de véhicule à véhicule : la différence entre deux véhicules normalement identiques s’élève à 8% au maximum, ce qui correspond à la dispersion admise pour des véhicules en production.
Enfin, Volvo montre des résultats pour le moins surprenants : si la V40 fait partie des bons élèves lors des mesures sur circuit (à priori le test le plus contraignant), les émissions mesurées lors de l’essai D1 ont montré un écart significatif par rapport aux données d’homologation. De fait, Volvo est un des rares constructeurs (si ce n’est le seul) à démarrer sur le deuxième rapport lors des tests d’homologation, une particularité qui ne se retrouve pas, par ailleurs, dans les conseils d’éco-conduite du constructeur.
Le but de cette commission indépendante était d’évaluer la présence ou non de logiciels tricheurs (capables de reconnaître lorsque le véhicule passe un test d’homologation) parmi les véhicules proposés à la vente. Sur ce point, l’objectif est raté car les tests n’ont pas permis de lever les soupçons, aussi bien à l'encontre de Volkswagen (qui n'apparait pas, au final, comme un mauvais élève) que des autres constructeurs.
Néanmoins, si l’objectif principal n’est pas atteint, la commission a permis de mettre en évidence les futurs défis qui attendent les constructeurs pour respecter les futures normes:
Concernant le premier point, certains constructeurs ont visiblement été marqués par l’épidémie de pannes d’EGR survenue sur de nombreux moteurs dans les années 2000. De ce fait, de nombreuses précautions sont prises lorsque les températures sont basses (généralement inférieures à 7 °C) avec la désactivation partielle voire totale de l’EGR afin d’éviter l’encrassement de la vanne EGR ou l’accumulation de particules dans le filtres sans avoir la possibilité de le régénérer.
Pour ce qui est de la dispersion entre deux véhicules censés être identiques, cela a tendance à démontrer la fragilité du procédé d’homologation actuel (toutes les mesures sont faites à la même température): un changement de quelques degrés peut aboutir à de grandes différences dans les résultats.
Outre une plage de température restreinte, le cycle NEDC actuel a abouti à de nombreuses autres incohérences sur les véhicules de production, l’allongement des rapports de vitesse en étant l’exemple le plus flagrant. Le nouveau procédé (WLTP + RDE) devrait changer cela grâce à des tests plus proches de la réalité. Il pourrait, néanmoins, introduire de nouvelles surprises comme une suspension arrière plus ferme (au détriment du confort des passagers) pour compenser le surpoids induit par le système de mesure portatif sur le train arrière (et la dégradation de l’aérodynamique qui en découle).
Afin de respecter les futures normes, les constructeurs ont donc de grands chantiers devant eux. Il faudra notamment remettre en cause les plages de température au-delà desquels les systèmes de dépollution sont invalidés. Si certains neutralisent l’EGR en-dessous de 7 °C, d’autres se permettent de repousser cette limite à moins de 0 °C (cas de Toyota ou de PSA par exemple), sans toutefois remettre la fiabilité de leur moteur en cause.
Le rapport complet est disponible sur le site du Ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer à l'adresse suivante: www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Commission_independante.pdf
Crédits photos: Volkswagen, DUH, Groupe PSA, Volvo